Rester vivant, de Michel Houellebecq

À offrir à celui qui pense autrement

Ah Houellebecq !

Houellebecq le perturbateur, les flèches de l’éternelle provocation, le visionnaire… Houellebecq le romancier, se dit aussi poète.

Un poète de l’actuel, de l’ultra-contemporain, le reflet d’une société qu’il raconte en plein effondrement. L’un de ses premiers textes publiés, Rester Vivant (1991) est un essai poétique sur la poésie et ses raisons. Un texte tout plein des mœurs, des questionnements un peu dégueulasses, un peu trop mûris d’un fruit mauvais qui se délite de ses chairs.

« Tout ce qui ne procède pas de l’émotion est, en poésie, de valeur nulle./L’émotion abolit la chaîne causale : elle est seule capable de faire percevoir les choses en soi ; la transmission de cette perception est l’objet de la poésie. »

Rester Vivant est écrit en prose, c’est un essai, et ouvre la voie aux poèmes qui suivirent, composés en alexandrins pour la plupart – à l’image de La poursuite du bonheur (1991 également). Il se présente sous la forme d’un regard philosophique sur la poésie, son état et sa méthode. Une ode qui fait de la forme poétique la pointe affûtée, affinée, réduite à son essence pure, de la souffrance, seule issue et voie unique de la liberté. C’est aussi un programme : D’abord la souffrance, Articuler, Survivre, Frapper là où ça compte, chemin de croix du poète, en homme lucide et sans pardon.

 « Si le monde est composé de souffrance, c’est parce qu’il est, essentiellement, libre. »

Houellebecq, dans ce texte, s’attaque à la posture de l’homme moderne, à sa solitude crasse, à ses travers, sans pudeur et sans détour. Rien qui, à première vue, paraisse si original dans Rester Vivant. Mais, l’auteur polémique taille les poncifs, il les travaille, les rogne. Il fait réfléchir et son écho est troublant.

« Une fois que vous avez développé une conception de l’amour suffisamment idéale, suffisamment noble et parfaite, vous êtes fichu. Rien ne pourra désormais vous suffire ».

Méthode poétique, Rester Vivant sonne juste. Et c’est ce qui fait toute la force de Houellebecq. Au-delà d’un style qui n’appartient qu’à lui, ce que les mots insufflent nous parlent d’un côté qui nous déplaît, mais qui sonne vrai. Pas seulement d’un monde perdu et dégueulasse, mais d’un monde avec ses petites victoires sur la vie, son égoïsme, ses pas vers la liberté, vers l’infini. Un monde où ne restent plus que les sensations et où l’homme, lessivé et tout râpé, est réduit à une solitude lumineuse, mais vouée à ne briller que pour elle.

« La société où vous vivez a pour but de vous détruire. Vous en avez autant à son service. L’arme qu’elle emploiera est l’indifférence. Vous ne pouvez pas vous permettre d’adopter la même attitude. Passez à l’attaque ! »

JM